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Souvenirs de Pierre de Lencquesaing

 

par Pierre de Lencquesaing

(pour la revue familiale Bulletin de l’Association Albéric de Lencquesaing, avril 1982)

 

Zone de Texte: Albéric de Lencquesaing est né le 9 juin 1851 à Lille. Après ses classes secondaires, il se tourne vers l’étude du droit et obtient sa Licence à la Faculté de Lille. 
A l'époque, de cette ancienne famille, il ne restait qu'un seul Lencquesaing : Alphonse, cousin d'Albéric, ordonné prêtre en 1849. Albéric, né après quatre filles, avait dix-neuf ans à la guerre de 1870. Inquiétude de la famille de le voir partir sur le front. Les femmes de la famille se mettent en prière afin qu'Albéric, unique espoir du nom, soit épargné. Les neuvaines sont exaucées et la guerre prend fin avant qu'il n'y parte.
A trente et un ans, en 1882, Albéric épouse à Lewarde, près de Douai, Marie-Antoinette d'Hespel de Flencques, d'une bonne famille d'origine lilloise, lointainement parente et bien pourvue.









































Marie-Antoinette arrive à Laprée à dix-huit ans, accompagnée de sa gouvernante allemande, Anna Kunz, dont plusieurs d'entre nous se souviennent. Notre chère grand-mère devait assurer largement la descendance de la famille puisqu’elle donna le jour à sept enfants en onze ans, dont cinq fils et deux filles (plus un premier petit Robert mort-né). La vie de cette nombreuse famille se partageait entre Laprée du printemps à la fin de l'été, et l'hôtel lillois de la rue de l'Hôpital Militaire pendant l'hiver. Mais Marie-Antoinette était frileuse et se plaignait de l'humidité lilloise. Très rapidement, la famille descendit passer l'hiver à Cannes et bientôt les études des enfants (les fils du moins qui entrèrent à Stanislas) impliquèrent un nou­veau rythme.
Marie-Antoinette prenait le train à Wardrecques vers le 15 septembre avec enfants, domestiques, gouvernantes et deux jours plus tard en arrivait à Cannes. On louait un wagon entier, arrivé à Paris : ce wagon suivait la ligne de la petite ceinture, passait par la gare du Nord pour rejoindre le PLM. Les voyages ne manquaient pas de variétés aux mille anecdotes racontées avec entrain par l’oncle Jean. Surtout, quand les garçons devenant plus grands obtinrent un jour l'autorisation de se dégourdir les jambes en quittant le train à la gare du Nord pour rallier l'actuelle gare de Lyon par leurs propres moyens. Bref, à Cannes, on retrouvait la Villa Baron louée dès ce moment et jusqu'en 1914. Après la saison des chasses à Laprée et dans le nord, Albéric rejoignait à Cannes Marie-Antoinette et les sept enfants.
A Cannes, les Lencquesaing n’étaient pas isolés. En effet, Marie-Antoinette avait un grand sens familial et elle n'eut de cesse qu'une partie de sa famille la rejoigne. Dès lors toute une tribu du nord participe à l'animation cannoise (les cousins Pas, d'Halloy, Guigné, Diesbach). Et tous se réunissaient souvent à la villa Baron qui avait l'avantage de posséder deux tennis et une salle de bal où Marie-Antoinette organisait des cours de danse et des réunions familiales. Allez vous étonner après cela de tous les mariages "interfamiliaux" de cette époque !

Cette page se tourne avec la guerre de 1914. Jacques, le fils aîné, est tué dès le premier mois de la guerre. Marie-Antoinette qui ne peut rester à Laprée, trop proche du front (de 30 à 50 km suivant les périodes), s'installe à Périgueux puis à Arcachon. Elle y entourera sa fille Simone de Witte jusqu'à ses derniers jours. Dès lors Albéric et Marie-Antoinette passeront leurs hivers à Paris.
Tels que la plupart de leurs petits enfants les ont connus, Albéric et Marie-Antoinette étaient déjà âgés.

Albéric, mince, distingué, un peu penché, complètement sourd, ne communiquait que grâce à son cornet. On avait l'impression qu'il vivait un peu à part (toujours à ses comptes), un peu indifférent à l'agitation qui l'entourait.
Marie-Antoinette était affectueuse et bonne, toujours agitée, avec un curieux râle d'asthmatique. Elle continuait son rôle de rassembleuse de la famille. Dès les vacances arrivaient à Laprée les Pas au grand complet avec les Witte pour qui Laprée était un peu leur résidence secondaire. Et tous les vendredi, la journée commençait par un grand déjeuner où les petits enfants étaient in­vités. Pour nous qui arrivions de Saint-Omer, le déjeuner débutait chez le pâtissier où l'on prenait des piles de gâteaux (on remportait les restes). Vers 4 heures, arrivaient les cousins et les voi­sins. Cela durait jusqu'en décembre, départ pour Paris. Mais avant son départ, Bonne Maman faisait choisir à chacun de ses petits enfants (21), sur un catalogue illustré des Trois Quartiers les jouets que Saint Nicolas allait leur apporter le 6 décembre suivant.

Mais ce n'était pas fini, il y avait encore les séances de mensuration, car Marie-Antoinette tenait à ce que ses petits enfants lui fassent honneur dans les réceptions familiales et elle commandait (pour les petits-fils en tout cas) des tenues idoines. C'est ainsi que nous nous retrouvions, tous les petits Lencquesaing de Saint-Martin-au-Laërt et ceux de la Côte, ainsi que Charles-Gérard de Pas, tous avec le même costume marin parisien avec culotte à ponts, source de petits drames domestiques…

Bonne Maman nous quittait à Paris en 1933 à l’âge de soixante-neuf ans et Bon Papa décédait aussi à Paris en Mars 1936 à l'aube de 85 ans, dans l'appartement de l'avenue de Suffren qu'ils avaient habité près de vingt ans.
Dans le village de Quiestède, les anciens se souviennent encore des qualités et de la silhouette d'Albéric de Lencquesaing, leur maire pendant cinquante ans.

Pierre de Lencquesaing (…)



 

 

Anna Kunz

(v.1844-1925)

 

L’univers de Marie-Antoinette d’Hespel : le château de Lewarde, près de Douai ; le château néo-flamand de Bondues ; la gouvernante Anna Kunz (v.1844-1925) ; ses parents (Frédéric d’Hespel et Eugénie Imbert de La Phalecque) et son frère Eugène.

Jean-Baptiste Deforest a bâti en 1765 le château de Lewarde, qu’habitèrent ensuite son fils le philanthrope Edouard puis successivement la fille de ce dernier, madame Rémy de Rombault née Deforest. Elle le délaissa à sa fille, madame Imbert de La Phalecque. Elle passa aux d’Hespel par le mariage d’Eugénie Imbert de La Phalecque avec Frédéric d’Hespel. Leur fils Eugène en hérita et le vendit à Paul Risbourg-Dumont de Chassart (minotier) en 1922. Sa légataire universelle, madame Risbourg vendit le château aux HBNPC qui le revendirent ensuite, dans un état déplorable au syndicat intercommunal de la région Somain-Aniche en 1971.

 

L’hôtel particulier du 122, rue de l’Hôpital Militaire à Lille. Photographie vers 1906, à la mort de Mélanie van der Cruisse de Waziers. Il a été récemment restauré et converti en résidence de standing.

Albéric de Lencquesaing

(1851-1936)